Charles

La première fois que j’ai rencontré Charles, c’était sur la grande plage du village. A sa vue je m’étais mise à courir comme la seule dératée en pantalon des environs. Je protégeais de la poussière ma jambe brûlée au 2eme degré sur le pot d’échappement de ma mobylette Gimba après cette soirée de beuverie, le genre qui te permet de t’endormir sans même tilter sur cette douleur vive qui te creuse la cheville.  

Sous le soleil de midi qui fait craquer les étincelles dorée sur la surface de la mer et t’offre une scène en contre jour sublime il se baignait. Ou plutôt, on le baignait. Cet homme le nettoyait ou tentait de l’habituer au contact de l’eau salée et des vagues.  L’homme avait ensuite déposé plus ou moins délicatement le plus gringalet du groupe sur le dos de Charles. L’ado avait valdingué au bout de 22s. Tout le monde avait ri. Charles était resté stoïque.


Ce n’est que 8 mois plus tard que je l’ai recroisé en allant en ville, quand on a été autorisé à sortir de chez nous entre 6h et 14h pour se ravitailler. Dans la rue, libre, sans corde ni harnais précaire. Il broutait les 3 brins d’herbe au milieu du tas  d’ordure stockées là, au pied du lampadaire aux côtés du troupeau de vaches locales qui créé à lui seul l’embouteillage du siècle de la (seule) rue principale. 

Charles était donc devenu un poney de rue.


Une nuit de couvre feu, après avoir sociabilisé aux côtés des amis de la baie, moments rarissime depuis 2 mois, je décide de rentrer chez moi par la route principale : un beau béton sans trop de nids de poule. A 23h c’est plus sage comparé à l’autre chemin glissant de terre et de cailloux. Surtout quand tu conduis une vieille mobylette de pêcheur qui a ses moments d’absence. Nuit noire et personne. Normal. Légalement, personne ne doit être dehors à cette heure.

Charles est là, sous un lampadaire (il a l’air de les apprécier..), faisceau lumineux blanc qui le rend si gracieux, entouré de 3 chiens de rue endormies. 

« Bon, il est temps d’immortaliser en image ta présence improbable ici ». 

Se dépêcher, laisser le moteur tourner, mitrailler à l’iphone déglingué cette scène que je trouve plutôt décalé, jusqu’à ce que ma bécane.. cale. Merde. Ok la redémarrer au kick. 1 fois, 3 fois, 10 fois, je me pète la plante de pied car ma tong a valdingué. Je m’imagine déjà rebrousser chemin en poussant l’engin ultra lourd. 

C’est alors que 3 hommes s’arrêtent. Un tuk tuk et 2 motards. En temps normal, ou plutôt de jour, c’est une scène totalement habituelle d’entre aide locale. Mais pas de nuit. Ici, la nuit, il y a un truc qui twiste dans le cerveau des hommes et je le sais très bien. Et la rue est vide, et mes petits poils du cou se dressent comme un réflexe primitif qui nous maintient en vie. 

« Madam problem? » les dents rougis par le betel nut. 

« no Machan, no problem, maybe motobike no good but its ok thank you » 

Et mon pied s’excite sur le démarreur et ma petite voie interne demande de l’aide à mes protecteurs la haut. Je ne les sollicite vraiment qu’en cas de mouise. Il s’agit là d’un cas de grosse mouise. Et les secondes s’éternisent. Je ne sais pas s’ils m’ont entendu ou si les bougies du moteur ont soudainement décidé de s’étinceler, mais au 18ème coup de kick le moteur se remet à ronronner. J’exécute alors un virage exceptionnel de 90 degrés, à pleine vitesse, c’est à dire 21km/h, saluant d’un regard rapide les 3 hommes 

« Estuti Machans, all good ». 

Non, pas « all good », je transpire des paumes de main. Accélération maximale, 28km/h, regard dans l’unique rétro pour m’assurer que personne ne me suit et j’ai crié. Crié comme rarement il m’arrive de crier mes remerciements à Mamy, Tonton Roger, Annick, Papi, Mamie, Michel et les autres là haut qui d’un coup, étaient tous devenu mécanos.

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